Nouvelle semaine, nouvel épisode de la série « Nouvelles pratiques et Culture, un petit tour du côté des professionnels » avec Céline Salvetat, Responsable du service des publics au Museon Arlaten (Arles), musée en rénovation depuis 2009.
Quelques repères :
– Le Museon Arlaten, musée d’ethnographie installé à Arles a été fondé par Frédéric Mistral en 1899. Il a fermé ses portes le 26 octobre 2009 pour une rénovation de huit ans.
– Céline Salvetat témoigne de son travail quotidien au sein d’un musée en rénovation et des changements que cela implique :
Comment a été reçue cette rénovation ?
Cette rénovation du Museon Arlaten est réfléchie depuis 1993 par la directrice actuelle mais la fermeture au public –qui s’est effectuée un an avant le début des travaux afin de vider le musée de ses expôts– a eu lieu le 26 octobre 2009 ! Cette rénovation était vraiment quelque chose d’attendue par les équipes du musée. Tout le monde percevait, chaque jour plus fortement, l’inadéquation du musée –qui n’a jamais changé depuis sa création en 1899– avec son temps. Il y avait donc une véritable envie et une formidable énergie de la part de toutes les équipes pour cette rénovation.
Contrairement à d’autres musées, la décision de fermer partiellement le musée afin de toujours garder un accès au public n’a pas été prise. En effet, outre les enjeux de sécurité, qui avaient déjà motivés la fermeture partielle du musée avant 2009, cette option demande énormément d’énergie car il faut maintenir et faire vivre les parties publiques mais également réfléchir et agir pour les parties en rénovation. Certainement cette solution aurait demandé trop d’énergie et présente potentiellement le risque de mal faire les deux –ou du moins, pas assez bien. De plus, et ce n’est pas un élément à négliger, un musée fermé n’a peu ou prou de pression de la part de ses responsables territoriaux. En effet, contrairement à une structure ouverte, il y a peu de pression, d’obligation de rendu, de chiffres. Cela permet de mener cette rénovation de manière plus sereine.
Qu’est-ce que cette rénovation a changé au sein des équipes ?
La première chose est l’agencement des équipes : la répartition physique des services n’est plus la même, il y a eu un dispersement dans différents bâtiments. Et évidemment, cela a une conséquence sur la communication entre les équipes … mais pas celle que l’on croit ! En effet, il a été mis en place des « cafés infos » et des séminaires internes pour justement palier ce manque. Céline fait remarquer que, eux qui n’avaient jamais eu ce type de « rendez-vous » réguliers obligeant à parler des différents sujets et réflexions, cela change tout : maintenant, il y a une vraie habitude de communication entre les équipes des différents services. Le revers de la médaille c’est que ces réunions étant informatives ou créatives (avec l’instauration du brainstorming), il faut formaliser les réunions pour que malgré tout, les sujets soient bien compris et entendus par tous, que là où les liens entre collègues se sont un peu distendus de facto, l’entente entre services reste.
Autre élément que la rénovation a bouleversé : le métier de certains professionnels. Autant que faire se peut, il a été décidé de faire les choses en interne et avec le personnel du musée. Cela a eu un impact particulier pour les agents d’accueil qui, n’ayant pas de raison d’être durant les huit ans de fermeture au public, ont été requalifiés en assistants à la gestion des collections, ou des fonds documentaires, notamment durant l’énorme déménagement des collections, qui est presque achevé aujourd’hui. Cette reconversion a permis à ces professionnels de rester au plus proche du patrimoine et a été tellement bien vécu que certains se demandent s’ils pourront redevenir agents d’accueil. Ceci semble néanmoins clair pour tout le monde au sein du musée : il ne pourra pas y avoir de retour strict en arrière selon les anciens modèles. Cette rénovation est vraiment une aventure qui a bouleversé –et continue à le faire– les métiers et les manières de concevoir le musée. Il faudra donc réfléchir autrement le rôle de ces agents, comme ce sera le cas pour les autres collègues.
Par ailleurs, la direction devant être ouverte sur l’extérieur du musée (notamment avec toutes les questions de partenariats, de relations avec les décideurs territoriaux, …), il a été observé une certaine responsabilité des services comme parties pleines et constituantes du musée, secondant et soutenant la direction.
Le hors-les-murs est souvent utilisé par les musées en rénovation : quel est ton regard sur cet outil ?
Beaucoup de personnes extérieures pensent que comme il n’y a plus de public au musée, il ne reste plus que les conservateurs et les régisseurs ; les autres professionnels du musée étant au chômage technique. Evidemment, cela est faux mais il est certain que le travail n’est pas exactement le même. Le hors-les-murs est l’un des outils les plus utilisés par les services des publics et autres professionnels de la médiation pour continuer à faire vivre le musée pendant sa fermeture, en dehors de ses murs. Céline avait interrogé un certain nombre de ses collègues qui avaient vécu une rénovation de leur établissement et qui avaient fait du hors-les-murs. Elle en a déduit que tout était question de dosage. En effet, le hors-les-murs permet de faire des choses extra-ordinaires car, le cadre étant nouveau, les équipes osent plus facilement des expériences nouvelles de façon beaucoup plus importante qu’au sein du musée ouvert. Ainsi, des actions de médiation sur-mesure, pour des publics cibles a priori minoritaires peuvent être montées, sans que le taux de fréquentation ne soit le critère premier d’évaluation. De nouvelles façons de faire de la médiation sont inventées, avec des partenaires de terrain, car le « hors-les-murs » du Museon devient un « dans les murs » des partenaires dont les méthodes de travail sont source d’inspiration pour le musée. On peut du reste voir des actions très intéressantes effectuées. Mais attention à leur densité et à ne pas se faire happer ! Il faut laisser le temps au service des publics de réfléchir son action, ses nouvelles cibles de publics mais aussi de continuer à travailler et à enrichir le(s) projet(s) de rénovation.
Comment cette rénovation et ces actions hors-les-murs ont changé ta perception et ta manière de travailler ?
Tout d’abord, une rénovation demande une réflexion très en amont de ce qui sera dans plusieurs années. C’est-à-dire réfléchir, dans l’abstrait, des éléments du projet scientifique et culturel allant de la politique des publics au nombre d’éviers, de prises électriques ou d’accès internet alors que certaines technologies ne sont alors que peu ou prou connues. Cette abstraction aura des répercussions totalement factuelles … mais dans plusieurs années. Et ceci est une véritable gageure !
Par ailleurs, Céline s’est retrouvée face à une temporalité toute différente et nouvelle autant sur la temporalité des actions que le rythme de travail. « Quand on y réfléchit bien, un musée fermé est une aberration ! » ; cela demande donc de la créativité, beaucoup d’organisation, une analyse fine de ses publics et de l’écoute. En effet, ce n’est plus le public qui vient vers l’institution, c’est à elle de les chercher –et pas seulement que les habitués. La rénovation permet également de chercher des publics dits éloignés et d’imaginer de nouvelles choses ; les différentes actions deviennent alors autant d’expérimentations. Néanmoins, ces efforts doivent être menés avec les équipes ; il faut donc être à leur écoute et doser. Par exemple, le musée dépendant du département, les actions de l’équipe de médiateurs se passent sur tout le territoire départemental –ce qui implique beaucoup de déplacements. La notion de fatigue physique était beaucoup moins présente dans un musée ouvert mais en hors-les-murs, il faut que ces actions se passent dans différents endroits, éloignés. Cela implique alors de faire attention à ses équipes, faire attention à leur niveau de fatigue, les mettre en binôme afin qu’ils s’appuient les uns sur les autres. Il faut donc ménager leurs efforts mais également leur moral en dosant savamment les réussites et les échecs de ces événements expérimentaux.
Céline est arrivée en 2006 au Museon Arlaten, c’est-à-dire avec un musée toujours ouvert au public mais tourné vers son projet de rénovation. Cette rénovation, Céline avait envie de la vivre car, comme elle le dit, une rénovation est une chance formidable qui n’arrive qu’une seule fois dans une vie professionnelle. Après la fête de fermeture du musée au public où chaque service a eu son moment pour présenter ses actions, la rénovation a justement permis de réfléchir à nouveau son métier et ses actions, en interaction avec les collègues. Cette réflexion a mené Céline à plus écouter ses collègues on l’a vu mais également à présenter d’une autre manière l’institution –c’est du reste comme ça qu’elle fait à présent intervenir d’autres collègues que ceux dont elle avait l’habitude. La rénovation du Museon Arlaten durera huit ans, période qui représente le cinquième (!) d’une carrière. Pendant ces huit années il y a réflexions, reconsidérations, expérimentations, échanges, … c’est certain, après cette rénovation les choses ne reviendront pas comme avant.
A tel point qu’après toutes ces aventures, certains au Museon se demandent s’ils continueront au musée après sa réouverture. Peut-on rester dans un même lieu après y avoir tellement vécu ? Est-ce que ce n’est pas à d’autres de reprendre le flambeau ?
Quelques liens …
– Site du Museon Arlaten
– Le projet de médiation « Partage de mémoires gitane » est mené avec l’association Petit à Petit et utilise les méthodologies du secteur social. L’objet a été de former des jeunes et des femmes aux outils de l’ethnographie en collectant imagines, sons, objets, … Cela a mené à la parution d’un livre et d’une émission de radio, d’un webdocumentaire et d’une exposition « A la gitane » (visible en 2013 à Marseille et Arles, dans le cadre de Marseille Provence 2013)
– Deux textes sur le Projet Scientifique et Culturel (PSC) : Ministère de la Culture et de la Communication et lettre de l’OCIM
– Quelques exemples d’actions hors-les-murs :
- Dès la fin des années 1990, la Villette profite des travaux de la Grande Halle pour « lancer » ce qui deviendra le phénomène du hors-les-murs avec différentes rencontres. Ici, les rencontres de 2004 à Limoges sur les « violences dans la culture »
- Rencontre professionnelle sur les Musées hors-les-murs, 2010
- Musée Galliera (Paris), toujours fermé organise certaines expositions en dehors de ses murs comme ici aux Docks
- Le Musée Toulouse-Lautrec (Albi) est lui ouvert mais propose des actions en dehors de ses murs vers les publics « éloignés »
- Certains musées ouverts ont une politique de prêts assez important, souvent dans l’objectif de diffuser leur sujet (sciences, Histoire, …). Dans ce cas, ces musées n’hésitent pas à communiquer dessus ; c’est le cas du musée des Arts et Métiers (Paris) ainsi que du Musée de la Grande Guerre (Meaux)
- Autre solution trouvée : faire des expositions virtuelles ; c’est un des choix du musée des Confluences (Lyon)
- L’utilisation du hors-les-murs se trouve également dans d’autres structures culturelles que celles des musées. Ca a été le cas du Forum des images durant ses travaux (cours et projections) ou du théâtre Jean-Vilar (Bourgoin-Jallieu) dont la programmation hors-les-murs semble le seul élément qui continue à faire vivre l’institution –dont le bâtiment a été brûlé en 2010 mais toujours pas reconstruit. Les Fonds Régionaux pour l’Art Contemporain utilisent également depuis longtemps la solution du hors-les-murs comme le montrent ces deux exemples : la FRAC Alsace et la FRAC Nord-Pas de Calais
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