Samedi, nous fêterons la Nuit Européenne des Musées ainsi que la journée mondiale des musées. Pour ceci, je voulais un portrait d’un projet qui lie qualité scientifique, transversalité et bonnes pratiques émanant d’internet. Mais Claire Séguret nous en dit plus tout de suite …!
Quelques repères :
– Le musée de Cluny – musée national du Moyen-Âge s’est lancé en 2012 dans l’aventure des « ateliers Wikipédia » mais avec la particularité d’être destinés à ses personnels internes
– Claire Séguret est la responsable adjointe communication du Musée de Cluny depuis 2009 et la chef de projet de ces ateliers Wikipédia au musée
Peux-tu nous expliquer ce que sont ces ateliers Wikipédia ?
En juin 2012, le Musée de Cluny proposait aux volontaires du musée de participer à un « atelier Wikipédia ». Késako ? Tout le monde connaît l’encyclopédie Wikipédia et son modèle de contributions et d’enrichissement. Eh bien les personnels de Cluny étaient invités à comprendre plus précisément le fonctionnement de la contribution et à créer eux-mêmes leur propre compte pour participer activement à tout article qui les intéresseraient –et pas seulement relatifs au musée. Ce dernier point peut paraître étrange d’autant plus si l’on sait que l’institution a libéré deux fois trois heures le personnel intéressé pour participer aux ateliers sur leur temps de travail ! Mais voilà, la philosophie de l’institution considère que c’est aussi son rôle de développer les compétences de ses personnels –compétences qui n’ont pas besoin d’appartenir systématiquement aux champs muséaux.
D’un point de vue pratique, pour les 26 volontaires du musée, on comptait neuf wikipédiens. Les wikipédiens sont « les contributeurs de Wikipédia, qui écrivent au quotidien les articles de l’encyclopédie. Certains d’entre eux s’engagent également auprès de Wikimédia France pour aider à la formation de nouveaux contributeurs, comme c’est le cas avec le musée de Cluny ou d’autres institutions » (merci Adrienne pour cette définition !) Cet accompagnement par les wikipédiens a ainsi permis de dédramatiser cette« nébuleuse » appréhendée et mal comprise.
Le premier atelier s’est donc déroulé en deux fois trois heures dans une salle de réunion munie d’ordinateurs et wifi où les agents du musée volontaires ont appris à créer leur propre fiche personnelle de contributeur, le vocabulaire de Wikipédia et l’enrichissement d’articles déjà existants. En ce qui concerne les publics internes visés par cette première série d’ateliers, cela a touché tous les services depuis les agents en salles jusqu’à la secrétaire générale en passant par le personnel de la RMN présent dans la boutique-libraire (ce qui, du reste, n’a pas été évident pour accorder les deux institutions).
Comment est née l’idée ?
Il était important pour Claire de travailler sur ces a priori et appréhensions vis à vis de Wikipédia auprès de ses collègues. Cette nécessité lui est apparue six à neuf mois après son arrivée au musée, en 2009. A ce sentiment de devoir faire quelque chose à ce sujet, un élément déclencheur a été le tweet d’Adrienne Charmet-Alix demandant des précisions pour l’enrichissement de l’article Wikipédia sur les peignes liturgiques. Après discussions et échanges, Adrienne lui propose alors d’impliquer les personnels internes à l’enrichissement des articles. Cette solution avait quelque chose d’exceptionnel, car si un travail de collaboration d’une institution culturelle avec des wikipédiens avait déjà eu lieu à Toulouse ou au Centre Pompidou, l’exemple de Versailles a montré les limites d’un partenariat où l’engagement des personnels de la structure accueillante est limité. Cet argument a eu un écho d’autant plus important que Claire était déjà sensibilisée à tous ces enjeux (notamment lors de sa participation au Museum Next d’Edimbourg où Shelley Bernstein du Brooklyn Museum était venue parler de la « sagesse des foules » et du livre The Wisdom of the crowd de James Surowiecki).
Autre élément qui a motivé Claire Séguret dans cette solution est le travail qu’engageait le musée dans la refonte de son nouveau site internet. Il y avait donc un important travail de sensibilisation à la(aux) culture(s) numérique(s) et à la contribution. Proposer de construire quelque chose en interne dans cet objectif a donc été bien reçu et les enjeux bien compris.
Enfin, c’est une volonté de la direction de décloisonner les services –ce qui relativement possible avec un musée de taille intermédiaire grâce à sa centaine d’employés. La notion de collaboration inter-service est donc omniprésente mais il est rare qu’un projet aura été dès sa conception transversal de cette sorte. Aidée par le savoir-faire des équipes de Wikimédia France ainsi que la philosophie même de ce mouvement, Claire a pu proposer et mettre en place une série d’ateliers dont les premiers ont eu lieu les 1er et 8 juin 2012.
Quelle a été la réception de tes collègues ?
Tout d’abord pas grand-chose si ce n’est aucune ! L’annonce avait été faite par la direction lors d’une réunion. Cela s’explique selon Claire, par le fait que ses collègues ne comprenaient pas très bien ce qu’était Wikipédia et qu’y faire. Néanmoins, une fois les explications données, l’accueil a été plutôt positif, à tel point que l’on compte 26 bénévoles sur la centaine d’employés ! On soulèvera ici une fois encore la volonté de s’adresser à tous les services, à tous les collègues. Parmi les agents volontaires, il y avait principalement des agents de surveillance. Eux qui sont en contact immédiat et permanent avec le public, les œuvres et le bâtiment se sont aussi pris d’intérêt pour en parler sur Wikipédia.
Si la seconde série d’ateliers met du temps à venir (alors qu’ils avaient été programmés une série chaque trimestre) c’est pour plusieurs raisons logistiques et organisationnelles. En effet, le musée de Cluny a eu une saison d’expositions temporaires très dense et lourde ; la question des emplois du temps est donc la principale cause imputable. Par ailleurs, ces ateliers sont relativement longs à mettre en place surtout si, comme Claire, on est la seule personne à les porter dans le musée.
Néanmoins, les deux premiers ateliers ont marqué et parmi ceux qui y ont participé, ses collègues sont soit contents de l’avoir fait mais leurs quotidiens de travail les a repris soit ils veulent en savoir plus et demandent quand la prochaine série aura lieu.
Il est également à soulever la réaction des conservateurs qui, selon Claire, considèrent que c’est aussi leur rôle de diffuser leurs connaissances sur les collections dont ils ont la charge et que Wikipédia appartenait à ce champ. Il semblerait qu’une fois les a priori dépassés, les conservateurs entendent relativement bien le discours de l’encyclopédie collaborative car, finalement, son fonctionnement est très universitaire : des explications, des recherches, des sources, une communauté de pairs et beaucoup de contributeurs scientifiques –dont Rémi Mathis, président de Wikimédia France, est conservateur au département des estampes à la BnF).
Toutefois, et si cela est tout à fait logique car il n’y a que deux sessions de trois heures, les collègues ont encore beaucoup de difficultés à appréhender ces notions numériques car elles leur semblent déconnectées de leur quotidien, les résultats ne sont pas immédiatement visibles et donc le besoin de conceptualisation dans un nouvel univers et avec une forte réactivité leur semble encore secondaire car trop éloignés de leurs schéma de travail.
Cependant, des notions précises sont tout de même passées et l’important travail de dédramatisation, du « tabou » Wikipédia a été fait –notamment en ce qui concerne le travail collaboratif et l’acception qu’un amateur reprenne un conservateur (l’exemple d’un wikipédien en ligne qui a écrit à un conservateur sur sa fiche qu’il avait rédigé lors de l’atelier eu lui indiquant ce qui manquait ; il a fallu passer de la personne qui se sentait attaquée dans sa légitimité à une personne d’expérimentée qui aide une autre, novice).
Que conseilles-tu aux autres institutions qui souhaiteraient transférer cette expérience ?
Tout d’abord de bien comprendre que tout n’est que partiellement transférable du fait des spécificités et identités de chaque lieu. Mais ce type d’ateliers a déjà été réalisé dans d’autres structures telles la Cité de l’architecture ou, dans une autre mesure, à Sèvres, Cité de la Céramique . On remarquera que ceux-ci se sont réalisés selon les contraintes, les besoins, les priorités et le temps dont disposent chacun de ces établissements. Ensuite, Claire conseille de rencontrer les interlocuteurs de Wikimédia car ils sont, habitués à travailler avec les structures et les publics et vous aideront à définir ce qui peut être fait et comment.
Il faut également prendre son mal en patience. Inhérent au travail du porteur de projet, il faut savoir ménager toutes les parties, les besoins internes, les priorités, les temps, … et accepter également parfois que le projet (ou des éléments du projet) n’intéressent pas. Cependant, Claire a observé que si les arguments relatifs aux ressources humaines ne sont pas très visibles, ils ont un poids énorme dans le décisionnaire et elle s’est également aperçue que ces éléments étaient de véritables adjuvants.
Enfin, autre élément qui est également porteur d’enjeux mais encore plus délicat : la question de l’image et des droits. Très délicate, elle est néanmoins primordiale et fortement porteuse auprès des publics et au sein même de l’institution. Cela ne pourra se faire, pour les structures muséales tout du moins, que par des actions pédagogiques et sur des terrains neutres et intermédiaires. Mais cela est crucial pour l’avenir des établissements muséaux en France et un futur « terrain de jeux » pour Claire.
Quelques liens …
– Site du Musée de Cluny – musée national du Moyen-Âge
– Réseaux sociaux :
– A propos des ateliers-mêmes :
- Page consacrée au projet sur Wikipédia
- Photographies de l’atelier sur Wikipédia
- Photographies de l’atelier sur FlickR
- Interview de Claire Séguret par Diane Drubay pour Buzzeum
– Autres articles :
- Article traduit par Claire Séguret sur Carpewebem de l’article Ask a curator : qu’est-ce que c’est ?
- Au Musée de Cluny, le numérique fait revivre le bâtiment, par Gayané Adourian, Knowtex
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