Nouveau jeudi, nouveau portrait et cette fois-ci d’une professionnelle du spectacle vivant ! Car oui, la Culture comporte aussi le spectacle vivant, peu connu sur les sujets mêlant numérique et médiation culturelle. Avec Anne Le Gall, Responsable de la communication au Théâtre du Rond-Point,[ndlr Anne est à présent directrice de la Culture et du développement au théâtre de l’Avant-Seine à Colombes] nous essaierons donc de comprendre ce qu’est faire du théâtre un objet de transmission.
Vous êtes bien dans notre cinquième épisode de notre série « Nouvelles pratiques et Culture, un petit tour du côté des professionnels » et voici la suite des programmes !
Quelques repères :
– Le département Nouvelles écritures de France Télévision s’est associé au Théâtre du Rond-Point à l’occasion de la création de Théâtre sans animaux en janvier 2013 en imaginant un dispositif de théâtre enrichi, version augmentée de la pièce.
– Arrivée en 2005 au sein du service de la communication, Anne Le Gall, responsable de la communication, essaie d’intégrer l’usage des réseaux sociaux au sein du théâtre et auprès des publics.
Quelle définition du Théâtre du Rond-Point sur internet ?
Le théâtre a voulu créer un « univers Rond-Point », c’est-à-dire un écosystème avec une programmation (via la WebTV Dailymotion créée en 2008 –date du partenariat signé avec le site Dailymotion– et la revue en ligne Ventscontraires.net lancée en 2010), comme une extension du domaine du théâtre et une communauté (sur Facebook et Twitter principalement) réunissant spectateurs réels et publics potentiels, intéressés par un certain état d’esprit.
Cet univers est intrinsèquement lié à l’actualité du théâtre mais en offre une vue qui ne se veut pas « promotionnelle » : nous créons des contenus dédiés à ces canaux autour des spectacles, de leurs thématiques, des artistes accueillis ou familiers du Rond-Point, de l’esprit de la programmation et du lieu, le fameux « Rire de Résistance ». Nous proposons occasionnellement la diffusion d’événements en direct sur Dailymotion, régulièrement en PodCast et vidéo sur notre revue en ligne.
Cela nous permet de toucher une cible plus large, tout en entretenant des rapports particuliers avec les internautes. Le ton des tweets se veut volontairement direct et non institutionnel et profitons de ce média pour toucher plus particulièrement les journalistes, nombreux sur ce réseau, et des blogueurs, culture et numérique. Nous avons d’ailleurs expérimenté à trois reprises le live-tweet sur ce réseau social, la dernière fois à l’occasion du lancement de notre saison 13/14.
Nous sélectionnons les outils et réseaux qui nous semblent adaptés à nos besoins et usages mais aussi pour tester certains outils, en suivant les innovations et tendances numériques : par exemple nous avons rapidement ouvert un compte Google Plus mais finalement nous l’utilisons peu ; pour le travail image nous ne nous sommes pas engouffrés dans Pinterest mais nous utilisons plutôt Instagram et GifBoom ou encore, nous avons récemment créé un Tumblr. De l’informatif aux « moments volés » en passant par la diffusion et la captation, chaque réseau propose des angles complémentaires pour intéresser des publics différents et enrichir notre discours. Il s’agit au final de mettre le contenu au cœur de notre stratégie numérique.
Le Rond-Point présente une version « augmentée » de Théâtre sans animaux. En quoi consiste ce projet et quelles en sont les attentes ?
Théâtre sans animaux est l’une des pièces les plus jouées en France, par des compagnies professionnelles et amateurs. Le texte est également un fréquent support pédagogique. De ce fait, c’est une pièce touchant un large public et sa forme en courtes scènes en fait une matière adaptée à une diffusion numérique. Elle se prêtait naturellement à ce projet initié et financé par les Nouvelles Ecritures de France Télévision.
C’est un véritable laboratoire, récompensé d’ailleurs par un Prix du public au Smart SIPA. Il s’agit –car le projet est toujours en ligne– d’expérimenter en quoi le web peut véritablement enrichir une diffusion théâtrale. La simple diffusion du théâtre en vidéo a toujours été problématique, le passage en vidéo fait perdre le caractère essentiel de l’expérience du vivant, l’expérience d’« être spectateur ». Il existe de très belles captations, certes, mais cette limite est toujours tangible. Le numérique vient apporter une couche supplémentaire, une interactivité, un enrichissement, une prise en main du direct par l’internaute. Ce n’est donc plus tout à fait « regarder du théâtre », c’est une toute nouvelle expérience. Et l’expérience peut devenir support d’une médiation auprès des publics, notamment scolaires comme cela a été discuté avec des professeurs.
D’autre part, une cabine (dispositif appartenant pleinement au projet) était installée dans le hall pour accéder à l’expérience in situ. Le succès du vidéomaton est plus relatif : pour l’instant le public a besoin d’être guidé pour l’utiliser ; l’ergonomie et la formule idéale n’ont pas encore été trouvées. Mais c’est une piste intéressante pour nous, professionnels du spectacle vivant. Car la question du numérique in situ est au cœur des réflexions. Comment, à l’instar des musées, peut-on faire entrer dans les théâtres la notion de médiation numérique ? Pas uniquement la médiation sur le web mais bien la médiation sur place en utilisant des outils numériques. Nous l’avons expérimenté avec les live-tweet, avec ce dispositif. Nous travaillons à imaginer la suite.
Cela me ramène à la question fondamentale de la conception d’une stratégie numérique : le numérique n’est pas que « le virtuel », il n’y a pas une opposition entre le « vrai » public et les internautes virtuels, l’esprit de la programmation et l’esprit de notre univers web … Une stratégie numérique, en tout cas pour une institution culturelle, a bien vocation à construire notre image de marque mais ramène aussi au terrain et à la médiation. Cela me semble en tout cas important.
Le dispositif de théâtre enrichi Théâtre sans animaux dans cette forme est un « one shot », pas le début d’une série pour les Nouvelles Ecritures. Par contre, sa durée de vie est longue : il va rester en ligne, nous communiquerons à nouveau dessus à l’occasion de la reprise du spectacle fin 2013 et nous verrons quels usages en feront naturellement les internautes. Un tel projet ne peut par ailleurs pas être porté par une institution seule : c’est une production à part entière, ce qui n’est pas notre vocation et certainement pas dans notre budget. En revanche, cet exemple peut nous (professionnels de la communication du spectacle vivant) inspirer pour des choses plus ponctuelles, notamment pour la partie in situ. Faire passer des auditions virtuelles aux spectateurs, c’était ludique et ça faisait découvrir le texte. C’est une piste parmi de nombreuses.
Pourquoi si peu d’utilisation du numérique dans les structures du spectacle vivant ?
Il y a selon moi plusieurs raisons à cet état. Je mets de côté l’utilisation du numérique autrement que comme outil de travail (base de données, weblogiciel, outils collaboratifs) et d’information (site institutionnel, newsletter). Ce qui, déjà, n’est pas toujours gagné.
D’abord l’historique. Je compare souvent notre secteur à celui du musée où l’innovation en termes de communication et médiation numérique est bien plus présente. Dans les musées, la question du multimédia fait date, du CD-rom de visite d’exposition des années 90 à la numérisation des collections, les audioguides, l’open data, jusqu’à la constitution de la pétillante communauté des museogeek aujourd’hui. Le numérique, notamment comme outils de travail et de médiation, est en place depuis longtemps. La marche est moins haute et la pression budgétaire aussi : la médiation numérique a, au moins dans les grandes institutions, sa ligne de financement, son service multimédia et ses éventuels chefs de projet formés à ces questions.
D’autre part, l’expérience muséale elle-même, contrairement à l’expérience théâtrale, peut être investie par une couche de médiation numérique. Cela enrichie l’expérience, la complète, quand au théâtre ça l’interrompt, la perturbe. Cela ne peut être fait que si l’artiste intègre cette couche à son spectacle, ce qui s’est vu dans des spectacles d’improvisation théâtrale, des concerts (un artiste avait conçu une application smartphone qui réagissait à sa musique, les spectateurs l’installant avant d’entrer en salle)… Mais ça n’a pas vocation à s’universaliser. Des théâtres ont tenté, c’est le sujet à la mode, d’inviter leurs spectateurs à live twitter pendant les spectacles, avec la création de tweet-seats comme on l’a vu aux Etats-Unis. Même eux, chantres du numérique et du marketing culturel, en reviennent pour ce qui est du spectacle vivant. Cela ne fonctionne pas, on rate son expérience de spectateur.
Enfin, le numérique par la captation (la numérisation du théâtre) et la diffusion en ligne ? Pourquoi pas. ARTE Liveweb (à présent ARTE Concert) fait de très belles choses, Dailymotion et YouTube diffusent des opéras, des événements. Mais cela doit être porté, ou au moins co-produit, par un diffuseur. Les lieux, comme les compagnies, ne peuvent pas, pour tous les spectacles, financer une réalisation de qualité puis les droits et frais divers. Si on voulait vraiment que les lieux fassent ce travail de captation et de diffusion, il faudrait un financement dédié. Un moment, avait été évoqué la création d’une salle de théâtre virtuelle, un dispositif sous financement public … mais je ne sais pas où ça en est.
L’usage du numérique pour la médiation et la communication au sein des institutions du spectacle vivant est donc à inventer, encore et encore, à la force du poignet et grâce aux volontés individuelles, en interne ou par des collaborations entre structures. Mais cela demande du temps, de l’énergie et une forte volonté ! Les mentalités évoluent doucement, et l’intérêt grandit. J’essaie d’observer ce qui se fait un peu partout, mais c’est difficile de connaître toutes les initiatives dans ce domaine. Je rencontre régulièrement des professionnels d’autres lieux pour des échanges souvent très riches. Je caresse le rêve de la constitution d’une communauté de theatrogeek, on est déjà quelques membres au sein de ce groupe informel et non officiel. En tout cas, cette partie de notre travail est une grande source d’émulation et de créativité.
En attendant, Anne Le Gall travaille, telle une impressionniste auprès de ses collègues : chaque jour, par petites touches, faire passer quelques notions, apprendre quelques outils, faire comprendre l’intérêt de tels réseaux, … Bref, là aussi un travail de pédagogie et « d’évangélisation » de longue haleine mais absolument nécessaire pour maintenir les professionnels du spectacle vivant dans une dynamique et que la créativité au service du public ne soit pas que du côté des artistes.
Quelques liens …
– Site du Théâtre du Rond-Point
– Site dédié aux dispositifs numériques de Théâtre sans animaux par les Nouvelles écritures de France Télévision
– Ventscontraires.net la web-revue du Théâtre du Rond-Point
– Les réseaux sociaux :
-Sites d’Anne Le Gall :
- The Pink One :
- Le blog : Geekeries culturelles et prospectives
- Twitter : @AnneLeGall
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