Mon précédent billet « Nouvelles pratiques et Culture, un petit tour du côté des professionnels » en faisait l’introduction, voici le premier épisode de ce cycle dédié aux professionnels actuels de structures culturelles de toutes sortes et de partout en France !
Notre première invitée est Aurore Lejosne-Bougaud qui nous parle de sa démarche et des solutions qu’elle a trouvé en créant l’association Vendredi 13.
Quelques repères :
– Vendredi Treize est une association née en 2012 et basée à Strasbourg
– Vendredi Treize est la structure qui organise l’édition Grand-Est de Museomix, qui aura lieu au Musée de l’image d’Epinal les 8, 9 et 10 novembre 2013 [finalement, l’événement a été repoussé ultérieurement]
Comment est né Vendredi 13 ?
J’ai toujours été sensible à la valorisation et la promotion du patrimoine ; c’est d’ailleurs dans cette direction que j’avais orienté mes recherches universitaires. J’ai ensuite découvert les possibilités qu’offraient les nouvelles technologies durant mes missions archéologiques. De là, les idées se sont bousculées. J’avais alors proposé des projets intégrants les nouveaux outils offerts par internet afin de partager et vulgariser les recherches et faire voyager le public, sous forme de wiki. Mais le niveau de participation ne me satisfaisait pas. Je me suis donc orientée vers des projets encore plus participatifs. J’ai proposé la mise en place d’un jeu en réalité alternée pour la ville de Strasbourg, mêlant éléments réels et fictifs – mais je sortais de mes études et on ne me prenait pas vraiment au sérieux, malgré l’arrivée de ce projet en finale du trophée de l’innovation à Strasbourg.
Autre facteur à prendre en compte : l’existence, à ce moment-là, d’une problématique encore plus grande, lier culture et patrimoine à l’innovation et aux technologies. Grâce au hasard des rencontres –dont beaucoup sur Paris– j’ai trouvé l’assurance et l’encouragement nécessaires pour à me lancer dans cette voie. Par ma veille de concepts porteurs et l’aide d’amis, j’ai pu être suffisamment « armée » pour créer l’association Vendredi Treize.
Quelle était ton expérience avant de te lancer dans l’aventure d’une structure ?
Je suis archéologue de formation et j’avais orienté mes recherches sur la valorisation et la promotion des patrimoines en danger et des nouveaux moyens de médiation. Après trois années de thèse, j’ai décidé de démissionner de celle-ci, avec beaucoup de tristesse mais les conditions d’études étaient impossibles. Je suis partie à la recherche d’un emploi mais force a été de constater que mes expériences de terrain et mes études ne servaient à rien.
J’avais mes idées en tête, des projets plein les placards mais j’étais totalement perdue. On se moquait ouvertement de mes études. Combien de fois ai-je entendu « retournez à vos pinceaux et à votre truelle ! » ? Cela m’a poussé à me battre, la rage au ventre. J’ai développé mes projets en faisant des formations complémentaires en gestion d’entreprise ainsi qu’en marketing et gestion d’événements qui m’ont permis de crédibiliser mes compétences en tant que communicante. C’est à ce moment-là qu’a été officiellement créée l’association et que j’en ai pris la direction. Pour le reste, je me forme sur le terrain et je me tiens régulièrement au courant de ce qu’il se passe.
Quels sont les objectifs de Vendredi Treize ?
L’objectif principal de Vendredi Treize est simple : promouvoir et valoriser le patrimoine culturel, quel qu’il soit, par l’innovation et les nouvelles technologies.
C’est une structure en évolution permanente qui s’adapte aux attentes et aux problématiques naissantes. Elle se base essentiellement sur l’innovation sociale. C’est sur ces bases que se construit son projet principal : la création du Laboratoire d’innovation ouverte des Emergences, dédié à la culture et au patrimoine. Ce Laboratoire doit permettre de mettre en relation tous les acteurs de la vie culturelle, les structures et acteurs de l’innovation et des technologies et surtout –et j’insiste à ce sujet– le grand public ; ces usagers initiés ou non-initiés à la culture et au patrimoine. Un grand programme qui prendra certainement du temps mais qui répond aux politiques et aux attentes actuelles. Par ailleurs, si Vendredi Treize est basée à Strasbourg, l’association a vocation à travailler au niveau national, et avec le temps, j’espère à l’international.
Pourquoi avoir créé une association et non une entreprise ?
Grâce au statut associatif, j’ai pu faire des rencontres que je n’aurais jamais pu faire autrement mais je ne suis malheureusement que bénévole, ce qui n’apporte aucune stabilité. C’est une condition extrêmement difficile. J’espère pouvoir développer l’association et en parallèle trouver un emploi salarié.
Par ailleurs, la structuration sous forme d’entreprise ne permet pas une participation aussi importante des usagers et des différents publics, contrairement à une association. Autre point –et certainement pas des moindres– il est souvent extrêmement difficile de mettre en place des événements et des actions permettant de lier les acteurs du public et du privé. L’association sert d’intermédiaire, de point de contact entre deux mondes qui ont historiquement toujours eu des difficultés à dialoguer. Si on y ajoute le paramètre « publics », l’équation aurait été totalement impossible à gérer en tant qu’entreprise.
Le dialogue est beaucoup plus serein et plus constructif ainsi, même s’il existe évidemment des difficultés et des déceptions qui, en fin de journée, laissent le moral parfois au plus bas, comme pour tout entrepreneur. Mais ne dit-on pas que demain est un autre jour ?
Tu travailles surtout en lien avec les structures et décisionnaires territoriaux, quelles sont les contraintes que tu rencontres et les solutions que tu trouves ?
L’association est récente, elle fête d’ailleurs son première anniversaire cette année. Pour se faire connaitre il a fallu –et il faut, encore aujourd’hui– qu’elle prouve sa légitimité au sein d’un tissu territorial extrêmement complexe. Même si nous répondons à des objectifs politiques actuels, nous ne sommes pas toujours compris. C’est un peu notre lot quotidien. Le message et les actions de l’association ne sont pas compris de la même manière selon l’interlocuteur, son investissement au sein de sa localité et des attentes politiques de son territoire. Mais là où certaines portes se ferment, d’autres s’ouvrent. Les seules solutions, même si c’est parfois frustrant, sont l’échange, la patience et l’adaptabilité.
Quels sont les événements et éléments que tu as pu mettre en place et ceux que tu projettes ?
L’association travaille sur trois projets principaux dont deux qui vont voir le jour d’ici la fin de l’année :
– Museomix Grand-Est : je suis entrée en contact avec Nod-A il y a maintenant plus d’un an et demi, après la première édition Muséomix à Paris en 2011. Le concept était vraiment intéressant et répondait exactement aux critères de l’association. Mais jusqu’à présent il n’y avait qu’une édition annuelle prévue. Je leur ai donc proposé de mettre en place une édition en local, afin de pérenniser l’action et d’avoir de réelles retombées dans le temps. Nous avons travaillé ensemble dans ce sens. De leur côté, l’équipe de Muséomix a développé d’autres communautés et j’ai travaillé sur l’arc Grand-Est. Nous avons lancé l’action officiellement le 19 février dernier et nous travaillerons pour l’année 2013 avec le Musée de l’Image d’Epinal. Le rendez-vous est prévu pour les 8, 9 et 10 novembre 2013. [l’édition au musée a dû être finalement annulée]
– Cultur&TIC : C’est une rencontre devant permettre de comprendre, échanger, partager, tester, expérimenter, pour ainsi dire un véritable festival de l’innovation, des technologies et de la culture. Pour cette première édition la ville d’Epinal accueillera, durant 2 jours, des conférences, des tables rondes, des ateliers et une exposition de certains des dispositifs de médiation qui auront été créés lors de Muséomix Grand-Est. Cultur&TIC doit permettre de répondre à des problématiques telles que la pertinence de l’utilisation des nouvelles technologies et l’innovation dans les lieux culturels, l’attitude des publics face à ces dispositifs et à ces lieux de culture, l’avenir des nouveaux outils de médiation et des musées, des sites patrimoniaux … Cet événement est destiné à être démultiplié à travers la France et au-delà.
– Le Laboratoire d’innovation ouverte des Emergences (LLEmergences) : c’est une structure dédiée au patrimoine et à la culture. Il s’agit d’un espace de test auprès des publics, d’un espace de co-création et de co-working, d’un lieu de conférences, de séances de création, de formations, d’une véritable plateforme d’échanges en ligne et dans la vie réelle, qui doit permettre de mutualiser les compétences et les connaissances de chacun afin d’avancer dans une même dynamique de recherche et de développement au service de la promotion patrimoniale et culturelle. Nous planchons même sur la création d’un label. Un vaste projet qui se construit progressivement et qui, je l’espère, posera sa première pierre avant la fin de l’année 2013.
As-tu remarqué une évolution dans les manières de travailler et les possibilités de projets depuis que tu as commencé ?
On sent que les gens ont envie de s’investir dans des actions, de partager, de contribuer. Nous basculons progressivement dans l’entreprenariat et l’innovation sociale mais le chemin est encore compliqué puisque, paradoxalement, certains mots et certains concepts, justement attachés à ces deux éléments, sont encore tabous.
Nous appliquons en France le principe de précaution et nous avons peur de la nouveauté. La prise de risque n’est pas encore inscrite dans nos gênes. C’est ce petit côté traditionnaliste qui, certes, fait tout le charme de la France mais peut parfois être un frein au facteur innovation.
Le travail ultra-collaboratif commence aussi à faire son apparition et s’accélère avec les possibilités offerte par les nouvelles technologies mais les méthodes de travail sont encore difficiles à déterminer. Nous sommes confrontés à des vides juridiques, à une déstructuration de la hiérarchie telle que nous la connaissions jusqu’à présent et à une gestion des communautés de plus en plus complexe.
Tout ceci permet d’ouvrir autant d’horizons véritablement intéressants –et les travaux du laboratoire de l’association se basent sur ces concepts.
Comment définirais-tu ton rôle dans la Culture locale (et plus largement) ?
Je suis une aventurière et une exploratrice. Peut-être est-ce mon côté archéologue qui ressort ? J’aime chercher, trouver, analyser, développer et mettre en place de nouvelles pratiques, de nouvelles expériences, là où ne les attend pas. J’aime avoir au moins un train d’avance mais ce n’est pas forcément un rôle évident à tenir et ce n’est pas toujours bien compris. Je commence à me faire une place au niveau local et même au-delà mais il faudra encore beaucoup de travail pour aboutir à mes objectifs et pouvoir agir efficacement sur l’ensemble du territoire. L’un de ces objectifs, c’est de promouvoir et valoriser le patrimoine, et permettre à tous d’y avoir accès en proposant de nouveaux moyens de médiation. Je pense que c’est une manière de maintenir la mémoire et de transmettre efficacement aux générations à venir. Tout un programme !
Quelques liens …
– Site de l’association Vendredi Treize
– Compte Twitter de Vendredi Treize
– Page Facebook de Vendredi Treize
– Page Facebook de Museomix Grand-Est