Discours d’Aurélie Filippetti lors de la rencontre avec les professionnels des arts de la rue au Festival international des arts de la rue d’Aurillac, Les Trois Coups
“Aurillac, le 23 août 2012
Madame la Présidente de l’association Éclat, chère Catherine Tasca,
Monsieur le Député du Cantal et Maire d’Aurillac, cher Alain Calmette
Monsieur le Sénateur, Président de la communauté d’agglomération du Bassin‑d’Aurillac, cher Jacques Mézard,
Madame la Vice-présidente du conseil régional d’Auvergne,
Monsieur le Président du conseil général du Cantal,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Directeur du Festival et du Centre international des arts de la rue, cher Jean‑Marie Songy,
Chers amis et acteurs, nombreux, des arts de la rue
C’est pour moi un vrai plaisir de me trouver ici, à l’occasion de la 27e édition du Festival d’Aurillac qui illustre chaque année, (bientôt trente ans), la force et la créativité des arts de la rue.
Ce n’est sans doute pas un hasard si j’ai commencé mon tour des festivals de cet été 2012 à Sotteville‑lès‑Rouen et que je le termine ici, à Aurillac.
Le développement des arts de la rue illustre en effet le rôle moteur que peut jouer la création en France et ceci dans des villes et des régions nourries d’une politique portée par des élus et des collectivités en partenariat avec l’État et construite sur le long terme. À nous de conforter cette action en poursuivant la structuration du secteur mais aussi en réfléchissant au rôle que vous pouvez jouer, encore davantage, car vous avez la particularité importante d’interroger notre société par votre capacité de faire irruption par l’art dans l’espace public.
La plate‑forme de réflexion lancée cette année par le Festival d’Aurillac et Hors les murs, pour trois ans « Objectif 2032 », dont la première séance se tient en ouverture de ce festival, aborde ces défis dans la perspective des vingt prochaines années. Bel enjeu !
Je souhaite à ce titre rendre hommage au travail accompli par Jean‑Marie Songy et toute l’équipe du Festival d’Aurillac et de l’association Éclat. Un festival qui sert de modèle et de référence au plan international et qui est résolument centré sur la création ; qui est aussi le point de convergence de nombreuses compagnies avec un Off organisé, une action qui se démultiplie tout au long de l’année avec Le Parapluie.
J’en profite également pour saluer l’arrivée de Julien Rosemberg à la direction de Hors les murs.
J’ai une attention particulière aux questions que vous soulevez, car ce sont celles de la place de l’artiste dans la cité, ce sont des questions que vous avez défrichées, à la fois en précurseurs et en experts d’un espace, que beaucoup d’autres artistes et opérateurs ont depuis investi.
J’avais signé le manifeste L’art est public alors que j’étais députée, et en campagne, parce qu’il est à la fois un texte politique, qui prend de la hauteur et place la réflexion que nous devons avoir à ce qui me semble le bon niveau d’analyse, un texte refondateur et de rassemblement.
Aujourd’hui en tant que ministre je n’en renie rien mais il faut voir mieux comment rendre possible. Ce travail doit être mené avec les professionnels, avec les directions compétentes du ministère et les D.R.A.C., mais aussi avec les autres départements ministériels et bien entendu avec l’ensemble des collectivités territoriales.
Il est essentiel que la relation qu’établissent les artistes à l’espace public, aux territoires, aux habitants, aux institutions (et vice-versa) puisse se construire dans un rapport inventif, solidaire, décloisonné et non replié sur lui‑même, un rapport partenarial évidemment. Qu’il puisse garantir la qualification artistique dans le respect et le développement de la diversité, de l’ouverture des esthétiques et des modes d’appropriation, adaptés aux territoires urbains comme ruraux.
Je prends un exemple du travail transversal que nous pouvons mener avec mes collègues du gouvernement. Je souhaite proposer à Manuel Valls d’ouvrir un chantier de réflexions entre nos équipes respectives qui associera les professionnels et les collectivités et qui permettra d’avancer sur la question centrale de la place des artistes dans l’espace public, question qui concerne aussi bien la réglementation générale, les dispositifs de coordination régionale et la place physique qui peut leur être accordée au niveau local.
J’ajoute évidemment l’enjeu de la transmission, car c’est notre ambition de placer au cœur de notre action l’accès de tous à la création et de construire une véritable politique pour la formation artistique, dès le plus jeune âge bien entendu, mais aussi tout au long de la vie. Vous le savez, nous conduisons ce projet en collaboration étroite avec mes collègues Vincent Peillon et Valérie Fourneyron, mais ils touchent aussi à l’économie sociale et solidaire, à la ville, à l’aménagement urbain, à la santé…
Depuis une vingtaine d’années, la politique de l’État pour les arts de la rue a été concentrée sur la reconnaissance et la structuration professionnelle du secteur.
Des avancées ont été accomplies : un dispositif d’aides pour la formation, les écritures, la création et la diffusion, le réseau labellisé des C.N.A.R., un soutien accru aux festivals majeurs, portant haut la singularité de ces arts sur le plan international. Nous devons les poursuivre.
Il s’agit notamment de compléter le réseau des Centres nationaux des arts de la rue (C.N.A.R.). C’est ainsi par exemple que sont étudiées actuellement les conditions de labellisation du Boulon à Vieux‑Condé dans le Nord tandis que deux dossiers sont en instance d’arbitrage en Rhône‑Alpes : les Ateliers Frappaz à Villeurbanne et l’A.P.S.O.A.R. à Annonay (Association de préfiguration du secteur ouvert des arts de la rue).
Il s’agit aussi de repenser les dispositifs d’accompagnement spécifiques pour la création : les aides attribuées par la Commission nationale et au niveau des D.R.A.C., pour mieux accompagner les équipes artistiques, toutes disciplines confondues.
Enfin, il faut conforter la transmission des savoirs, en faisant avancer la reconnaissance de la formation, et par les croisements avec d’autres établissements d’enseignement supérieur dans les domaines du spectacle vivant, comme de l’architecture, des beaux‑arts ou des écoles du paysage.
La F.A.I.A.R. (Formation artistique et itinérante des arts de la rue) inventée par Michel Crespin est à cet égard une initiative originale de transmission par l’expérience et l’échange qui verra bientôt son cursus reconnu au niveau master par l’Université et entrera ainsi dans le processus de Bologne.
Au-delà de ces efforts, qui expriment la volonté de continuité de l’État, d’autres pistes doivent être explorées.
Pour poursuivre et conforter notre action, il m’apparaît en effet souhaitable de poser de nouveaux jalons très concrets.
Les arts de la rue sont au carrefour d’enjeux multiples qui traversent d’autres expressions disciplinaires. L’organisation actuelle des services du ministère de la Culture et de la Communication permet difficilement d’appréhender cette multiplicité d’approches. Nous l’avons dit, l’État doit jouer son rôle pour que les initiatives d’action artistiques puissent prendre corps dans l’espace public de façon construite et pour le développement des territoires.
L’opportunité de la création d’un Conseil national des arts et de la culture dans l’espace public (C.N.A.C.E.P.) a été évoquée et souhaitée par plusieurs d’entre vous. Elle exprime la nécessité, que je partage, d’un groupe de travail entre le ministère et d’autres composantes de l’État, les professionnels des arts de la rue et de la ville et les collectivités, qui soit à la fois instance de réflexion et de proposition, pour promouvoir l’art dans l’espace public et favoriser une mise en relation des habitants à l’art.
Je demanderai au nouveau directeur général de la Création artistique d’engager dès son arrivée les modalités de ce travail transversal et la mise en place de cette instance avec les services concernés.
Cette plate-forme nous permettra d’engager d’ores et déjà ces actions, en cohérence tant avec les objectifs que j’ai déjà eu l’occasion de citer qu’avec les demandes exprimées par les professionnels. Il devrait nous permettre de positionner d’emblée ces thématiques sur un ensemble d’interlocuteurs élargi tout en restant piloté au sein du ministère.
Je vois ainsi plusieurs chantiers de travail :
– Le renforcement de la présence artistique au cœur des territoires, notamment en considérant mieux les lieux de fabrication (outre les C.N.A.R.) afin de mettre en place des schémas concertés entre artistes et responsables politiques (sur l’exemple des S.O.L.I.M.A. [schémas d’orientation pour le développement des lieux de musiques actuelles], dispositifs pour les musiques actuelles).
– La question des aides aux compagnies en introduisant une aide aux résidences itinérantes sur les territoires et à l’international.
– Comment favoriser les processus de participation des habitants, d’initiation et d’enseignement, par la pratique, la connivence, l’expérimentation.
– Fondamentalement, comment créer du lien, de la proximité, autour de l’acte artistique :
• en incitant à la concertation et à la coopération entre acteurs de la ville,
• en favorisant les démarches qui proposent une réappropriation du patrimoine commun,
• en faisant évoluer les dispositifs de commande publique et en élargissant la réflexion aux programmes d’urbanisme (à l’exemple d’Estuaire et du Voyage à Nantes).
Vous le voyez, dès lors qu’il s’agit de remettre du sens à notre action, le travail ne manque pas et, si la volonté collective y est, il n’y a plus qu’à s’y mettre.
Recueilli par Vincent Cambier, Les Trois Coups“