A l’invitation de Aude Mathey, auteur du blog C&C et d’un très bon article qui replace le cœur du sujet (et ce n’est pas de trop !), je m’apprêtais à rédiger quelques réflexions et commentaires mais mon texte n’a su suivre les restrictions de longueur du commentaire. J’en fais donc ici un billet, à entendre dans le contexte plus large des différents articles et réactions suite à l’inauguration du Centre Pompidou Virtuel (CPV).
J’ai eu la chance de pouvoir assister à l’inauguration du CPV, d’entendre directement les principaux acteurs, leurs argumentaires et évidemment leur proximité avec le projet.
A la suite de cette soirée, de nombreux échanges et excellents articles ont été publiés, présentant souvent de manière argumentée leurs critiques. Alors ça y est ? Tout a été dit sur le CPV, on remercie tout le monde, on salue le public et on ferme les rideaux ? Si beaucoup a déjà été écrit, il me semble néanmoins que quelques éléments n’avaient pas été abordés et que ça n’était donc pas entièrement satisfaisant. Pourquoi ? Fondamentalement, le CPV est un « work in progress » et ça, déjà en soit, c’est un énorme pas en avant pour une institution française : ne pas vouloir un produit entièrement fini mais modulable et évolutif en fonction des besoins et des usages est, me semble-t-il unique pour une institution de cette taille.
En dehors des points que soulève Aude dans son article ou ceux détaillés avec brio par l’ami @Calimaq (Lionel Maurel) dans son article, j’aimerais revenir sur le discours et donc la communication qui a été faite de cette inauguration –car il me semble que le problème réside exactement ici.
Tout d’abord recontextualisons. Comme Lionel Maurel le rappelle très bien, en France la véritable utilisation de grande ampleur des technologies numériques est, à quelques exceptions près, le fait des bibliothèques. Malgré la large utilisation des outils numériques (principalement multimédia) à l’ouverture du Musée d’Orsay, les musées français (ou devrais-je même préciser : les grandes institutions muséales françaises) ont certes utilisé les outils numériques mais ne s’en sont pas imprégnés. Si l’on fait une rapide comparaison entre le site de la BNF et celui du Louvre il apparaît clairement que le premier fait montre d’une véritable compréhension des enjeux numériques. Le site du Louvre reste un beau (nouveau) gadget, très design mais sans exploitation des outils numériques.
C’est donc bien dans ce contexte qu’il faut replacer l’inauguration du CPV. Sincèrement, quand on regarde ce qui se fait en France au niveau des grandes instituions muséales, c’est pas mal ! Evidemment que « la France » est terriblement en retard mais cela tient à mon sens bien plus aux dirigeants qu’aux professionnels de ces secteurs qui proposent mais qui ne se font pas nécessairement entendre. Prenons l’exemple du discours du ministre lors de cette soirée. Pour elle, le numérique est un support de services dont la culture a un rôle à jouer. Selon le discours qu’elle développe ces derniers mois (j’imagine principalement pour prévaloir son ministère ainsi que ses emplois face à Bercy), le patrimoine est facteur de croissance. Jusque là, très bien : nous avons enfin un ministre qui semble préoccupé par le sort de ses membres, d’affirmer la place de la Culture et du patrimoine et qui semble (je dis bien semble) même prendre l’Internet (fameuse chose si bizarre et mal comprise que l’on préfère lui mettre une majuscule … pour que ce dernier ne se fâche pas et ne nous dévore pas ?) comme quelque chose que l’on ne doit pas oublier. Mais la suite du discours (et ses précédentes allocutions le confirment) montre à quel point l’Internet n’est pas acquis et reste tout de même quelque chose de terriblement dangereux. En effet, lors de la soirée de présentation, le ministre de la Culture et de la Communication nous affirme que l’On doit s’occuper de la question du numérique et de l’Internet et même, plutôt les instances légitimes (donc dépendant du ministère, vous aurez compris) que les Autres qui risquent de prendre toute la place vacante que les institutions laissent libre et qui travailleraient contre l’intérêt général … On peut effectivement dire que Wikimédia par exemple travaille contre l’intérêt général.
Trêve de plaisanterie et d’exemple que l’on peut me reprocher stéréotypés. Madame Filippetti a montré, depuis sa prise de fonctions, qu’elle est capable de choisir de très bons conseillers –ses premières prises de décision quant à des patrimoines en danger le prouvent fort bien. La nécessité maintenant est que de bons conseillers des mondes numériques arrivent dans son cercle et qu’elle comprenne bien que, si, le web est éditorialisé, non Wikimedia Foundation n’est pas l’exception qui confirme la règle. Si déjà les dirigeants –qu’ils soient ministres ou décisionnaires dans les institutions culturelles– pouvaient déjà bien comprendre que les mondes numériques ne sont pas dangereux en soit, que c’est bien plus qu’une simple mode (dont les tenants ne seraient que des geeks, des marketeurs, de gros financiers le cigare au bec et des amateurs en mal de reconnaissance professionnelle) et un super élément de communication ce serait formidable ! Alors si en plus ils comprennent que de véritables professionnels existent dans ces secteurs du numérique et de la culture –peut-être même au sein de leurs propres équipes !– que faire appel à eux leur permettraient de récupérer de manière intelligente et peut-être même innovante (du moins créative) les quelques trains que l’on a de retard, on se retrouverait alors peut-être dans un pays qui peut montrer sans rougir aux pays anglo-saxons ce que nous faisons pour notre Culture et notre patrimoine.
Second point qui me semble être une autre source des commentaires souvent négatifs, toujours déçus, du CPV : la communication. Encore une fois, internet n’est pas rempli que de geeks qui n’ont strictement rien à faire de la Culture ni d’amateurs crédibles. Lors des quelques présentations précédant l’inauguration du CPV la communication était déjà étrange. Combien de personnes sortant de ces présentations n’avaient pas compris ce que sera le CPV ? Rien de précis mais déjà des annonces fortes –parmi lesquelles le fameux « sémantique ». Évidemment, quand on a enfin eu le site sous les yeux et le discours officiel, les professionnels et amateurs des mondes culturels et/ou numériques sont allés vérifier le joujou qu’on leur promettait … La réalité a été d’autant plus décevante que la communication était pompeuse et fallacieuse.
Je ne reviendrai pas sur des exemples précis –les différents articles et réactions l’ont suffisamment bien fait– mais si l’on se place du côté de la communication, ces commentaires étaient évidents et je pense vraiment augmentés et renforcés par la communication du Centre Pompidou sur son Centre Pompidou Virtuel. Comment, lorsque l’on se présente comme un outil aux technologies ouvertes, à l’utilisation du web sémantique, en prônant le partage et en se présentant comme une référence de l’art contemporain sur internet (alors que rien n’est accessible et clair, même pas d’indication de la barre de recherche, à peine que l’on est sur le site du Centre Pompidou !), comment ne pas attirer les foudres des utilisateurs ?! Quand en plus, on entend Alain Seban se targuer du rôle de pionnier du Centre Pompidou, de l’énorme réussite que présente ce site si technologique, ouvert, exceptionnel, là, ça devient franchement difficile.
L’une des choses qui m’a frappé à la soirée d’inauguration c’est que personne de la communication n’était présent. Certes, il y avait Emmanuelle Bermès (chef du service multimédia du Centre Pompidou) et Gonzague Gauthier (Chargé de projets numériques au Centre Pompidou) qui ne semblaient être là que pour assurer le rôle de « techniciens et spécialistes », en quelque sorte la caution « l’Internet ». Mais où étaient les personnes de la communication ? Si au moins l’une d’entre elles avait été présente, certainement qu’il aurait été possible de minimiser (ou au moins de sauver) les envolées lyriques sur le caractère top tendance/trop technologique du CPV. De même, il manque clairement un regard de communiquant (ou médiateur, comme vous préférez) sur les interfaces du nouveau site. Comment laisser une page d’accueil qui n’annonce pas qu’il s’agit du Centre Pompidou et que ce site s’entend comme un centre de ressources ?! Alors, peut-être y a-t-il eu ce regard mais il aurait été vraiment très bien qu’on l’entende.
Ce qui est le plus dommage dans cette ligne communicationnelle c’est que le Centre Pompidou est déjà reconnu pour la qualité de ses collections, la qualité du travail scientifique qu’exécute ses équipes mais également des barrières –tellement infranchissables que cela en devient complètement ubuesque !– des droits de reproduction. Le même problème était déjà présent sur la précédente version du site du Centre Pompidou. Combien d’œuvres, que l’on savait numérisées, ne pouvaient être accessibles sur internet du fait même de ces problèmes de droit d’auteur. Cela est un véritable débat qu’il serait urgent d’ouvrir et de traiter intelligemment de manière à ne pas renier le caractère de l’œuvre d’art et de son créateur mais également en permettant son appropriation par le public –et donc sa proximité avec les mondes de l’art. Avec le CPV, l’institution a été, me semble-t-il, un peu écornée et risque de peser un peu trop lourd dans les actions en faveur du numérique par la suite.
Alors, quand le ministre de la Culture et de la Communication, madame Filippetti, finit son discours en souhaitant que le Centre Pompidou Virtuel montre la voie, pitié : non !
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