Les musées, à l’aube d’une révolution numérique ? – Inria
« De nombreux scénarios d’usage sont envisageables. On peut imaginer travailler à définir une sorte de continuum entre ce qu’on peut faire avant, pendant et même après la visite. Il y a d’abord la planification, sur le web, de la future visite. Et on pourrait aussi diffuser, pendant la visite, des informations adaptés à ce qu’est la personne, et ce qu’elle attend de sa visite. Puis après la visite, apprécier de revoir, approfondir ou partager certains moments privilégiés. Les réseaux sociaux sont aussi un sujet que les musées doivent encore s’approprier.»
Cet article de l’INRIA m’a semblé intéressant à mettre en valeur ici, peu pour son contenu mais par son inscription “dans l’air” des questions que l’on se pose actuellement dans les milieux culturels tournés “res numerica“. La preuve par les deux articles relatifs à la 3DS de Véculture ou encore de l’article que l’on peut lire sur Carpe Webem.
Le texte que j’ai sélectionné en exergue de ce post m’a interpellé à plus d’une raison. D’abord, il me semble que la question traitée ici comme quelque chose de nouveau (ou du moins qu’il faudrait sérieusement commencer à appliquer dans les institutions culturelles) est la fameuse décomposition en 3 temps : avant-pendant-après. Cette manière de visiter est quelque chose qui, me semble-t-il, est toujours exécutée par le visiteur d’institution(s) culturelle(s) : même de manière inconsciente il y aura toujours le moment où l’on prépare sa visite (ne serait-ce qu’en achetant ses billets sur internet, en fantasmant ce que l’on va voir [en bien ou en mal], en étudiant son parcours, ses oeuvres, …). Si l’on observe bien les différents visiteurs (d’un musée par exemple), il prépare toujours l’étape d’après. Avant d’aller au musée, il s’y projette, pendant sa visite il prend photos (sauf à Orsay !), souvenirs et/ou maintenant applications afin de se souvenir de ce qu’il visite sur l’instant.
A mon avis, il n’est pas anodin d’observer ces attitudes. Outre les temps de visites qui sont, disons plus ou moins élastiques, selon les emplois du temps de chaque visiteur (depuis le scolaire au touriste étranger [qui “fait l’Europe” en 5 jours] en passant par le retraité ou l’amateur éclairé), la question du temps de visite-même est la majorité du temps éludée pour le lapin sorti de son chapeau : l’audio guide ! Avant d’arriver à ce sujet, deux points me semblent intéressants à soulever. D’abord que dans une logique d’économie (ou plutôt de rentabilité) à outrance, on en oublierait presque que l’accompagnement à la visite est le métier (le vrai ! Pour lequel on fait des études, on passe des concours et on court après le caché !) de véritables professionnels, véritables personnes relais de l’institution culturelle mais également du “Savoir” (ou Culture voire même connaissance si vous préférez) auprès des visiteurs ! Les concours sont de plus en plus difficiles, les institutions culturelles font de moins en moins appellent à eux et payés de moins en moins … Et pourtant l’enquête menée par le service des études (département de la politique des publics, direction générale des patrimoines) du ministère de la Culture A l’écoute des visiteurs (enquête menée notamment dans les musées et Villes et Pays d’Art et d’Histoire, été 2011) prouve bien l’importance de ces personnes !
Second élément : l’importance des souhaits du visiteur. On le sait, chaque visiteur est différent mais quelques traits communs permettent de brosser des catégories (ou orientations). Ainsi, pourquoi ne “s’attaquer” qu’aux visiteurs qui, n’ayant pas de guide conférencier, veulent “en avoir pour leur argent” et donc, veulent un audio-guide qui lui dira tout (ou partie du moins) des grands chefs-d’oeuvre de l’institution qu’ils visitent ?! Et s’ils veulent se perdre, profiter de ce lieu pour visiter autrement (comme l’expérience Un Soir, un Musée, un Verre le prouve chaque semaine depuis un peu moins d’un an) ?!
Ah ba oui mais non ma bonne dame ! Une institution culturelle se doit d’être moderne et donc d’avoir son audio-vidéo-guide ! … Ah … les nombreux exemples étrangers (ne serait-ce que britanniques) nous prouvent que ce n’est pas parce que l’on a un audio-vidéo-guide que l’on est moderne et surtout que les prospections vers les champs numériques doivent s’arrêter ! Certes, je généralise et je suis volontiers provocatrice … (Ciel ! Gonzague ! Tu m’as contaminé !) mais c’est un type de raisonnement qui semble faire loi dans un certain nombre d’institutions (à différentes échelles) … Heureusement que de plus en plus de personnes s’occupant quotidiennement de ces questions là poussent à voir ailleurs !
Certes, la création d’un audio-guide peut être l’occasion de revoir les textes explicatifs mais également de mettre à contribution les forces scientifiques qui font l’institution et la présentation de ses collections. Une manière de se réapproprier les contenus et de valoriser le professionnalisme du personnel. Le problème c’est que les conservateurs (pour ne parler que d’eux) ne sont pas toujours mis à contribution (ou prêts à contribuer) et le contenu pas plus maîtrisé qu’avec les anciennes boîtes à chaussures noires qui s’imposent toujours actuellement comme référent “d’audio-guide”.
Ce qui me dérange le plus dans cette solution toute faite, quelque fois à peine customisée d’une institution à l’autre, c’est l’impression de tromperie (pas nécessairement voulue par l’institution !). On fait croire que ces nouveaux appareils (ou applications) vont permettre de révolutionner la visite. Or, l’expérience relatée sur Véculture le prouve bien : ce n’est pas parce que l’on met une image ou une vidéo -que le visiteur regardera durant sa visite- que le contenu de l’audio-vidéo-guide sera révolutionnaire ! D’abord, on peut s’interroger de l’intérêt d’une image face à l’oeuvre réelle (n’oublions pas qu’un certain nombre d’audio-vidéo-guide ne peuvent se louer qu’in situ, je ne parle donc pas des applications qu’on a eu la bonne idée de télécharger sur notre terminal mobile lors d’une connexion wifi avant ou après la visite). D’autre part, pourquoi penser que le visiteur ne veut être attirer, durant sa visite, que par le gadget alors qu’il a une véritable attente d’apport de connaissances ? Ne risque-t-on pas un sentiment de frustration et “d’entourloupe” face à des produits si peu satisfaisants au regard de la bonne vieille boîte à chaussure noire (sus-nommée “audio-guide”) ?!
Il me semble qu’en plus d’une invitation à repenser la visite-même, l’introduction de possibilités numériques dans les institutions est également une injonction à faire travailler de concert les différents agents de l’institution et ainsi de mettre en valeur chacun de ces rôles. S’il s’agit certainement d’une utopie (quoi que, à mon avis, pas irréalisable), c’est également un formidable moyen de repenser les institutions comme les musées qui, non, ne sont pas poussiéreux et repoussants mais faits de passions, de réflexions, d’ego, de sentiments, … bref : de vie !